Je m’appelle Anne, Annelein, petite Anne, pour mon papa. Je suis Anne Frank, la seconde fille d'Otto Heinrich Frank et d'Edith Holländer. Je suis née le 12 juin 1929 à Francfort-sur-le-Main en
Allemagne. Là, nous vivions en bonne harmonie entre les juifs et les non-juifs, catholiques ou protestants. Ma sœur Margot est arrivée au monde le 16 février 1926. Nous sommes une famille de juifs réformistes et notre pratique religieuse n’est pas très stricte.
Nous sommes fiers de Papa qui est un ancien officier décoré pendant la Première Guerre mondiale.
En mars 1933, les élections mettent au pouvoir le parti nazi d'Adolf Hitler et provoquent des manifestations antisémites. Mes parents ont alors craint pour notre sécurité. Maman, Margot et moi avons alors déménagé pour Aix-la-Chapelle, chez mamie Rosa Holländer. Papa est parti à Amsterdam pour ses affaires et afin de préparer notre arrivée dans la capitale l’année suivante.
À Merwedeplein, dans la banlieue sud d'Amsterdam, nous habitons dans un quartier où nous
retrouvons d’autres Juifs ayant fui l’Allemagne. Margot est à l’école publique ; elle est plutôt
matheuse. Je suis à l’école montessorienne qui me convient mieux. Je suis littéraire et j’ai toujours aimé écrire. Nous sommes très différentes.
En 1939, mamie Rosa est venue vivre avec nous mais, en mai 1940, l'Allemagne a envahi les
Pays-Bas et le gouvernement d'occupation a commencé à persécuter les Juifs avec des lois
répressives et discriminatoires. Papa ne peut plus garder son entreprise et nous sommes, Margot et moi, obligées de poursuivre notre scolarité au lycée juif. Papa essaiera d'obtenir des visas pour émigrer aux États-Unis ou à Cuba, mais il n’y parviendra pas.
Pour mon treizième anniversaire, j’ai reçu comme cadeau un carnet et j’ai décidé de commencer immédiatement à écrire mon journal intime. Pour que ce soit plus drôle, je me suis inventée une amie imaginaire, Kitty.
Je raconte à Kitty que nous sommes obligés de porter l’étoile jaune dans la rue et que nous
subissons des restrictions et des persécutions du seul fait que nous sommes Juifs. Je ne
comprends pas.
Au début de juillet 1942, les déportations débutent et Margot, qui a alors 16 ans, reçoit une
convocation de l'Office central pour l'émigration juive afin de partir dans un camp de travail en
Allemagne. Nous avons vite compris que nous étions en danger. Papa a alors décidé que nous nous cacherions dans les pièces au-dessus et à l'arrière de ses bureaux de la société Opekta sur le canal Prinsengracht. J’ai été très triste car j’ai dû abandonner mon petit chat Moortje.
Nous sommes arrivés à l'Annexe. Au premier niveau, se trouvent deux petites pièces avec une
salle de bains et des toilettes. Au-dessus, il y a une grande surface et une plus petite avec une échelle qui donne sur le grenier. La porte de l’Annexe sera rapidement cachée par une
bibliothèque pour éviter qu'on nous découvre.
Les employés de la société de papa nous aident bien. Parmi eux, j’apprécie Miep Gies et son mari Jan.
Une semaine après notre arrivée, la famille van Pels nous rejoint avec leurs quatre enfants. Je fais alors la connaissance de Peter qui a 16 ans et que je trouve très mignon. Nous parlons beaucoup, il sera mon amoureux.
En novembre, Fritz Pfeffer, un ami de la famille dentiste, nous rejoint et la vie devient plus difficile alors. Pfeffer est insupportable et Augusta van Pels est une vraie idiote. Le pire, ce sont les disputes entre papa et maman. Elle est devenue très distante. Nous avons vraiment du mal à communiquer elle et moi.
Nous ne pouvons pas sortir, voir des amis comme tous les adolescents de notre âge, profiter de la vie tout simplement. Je passe ainsi le plus clair de mon temps à lire et étudier, en continuant à tenir mon journal intime. Je décris mes sentiments, mes peurs, mes croyances, mes espoirs de devenir journaliste et écrivain plus tard, lorsque cette maudite guerre sera terminée et que les forces du mal seront vaincues.
Le 9 octobre 1942, j’écris dans mon journal :
« Chère Kitty,
Aujourd’hui, je n’ai que des nouvelles sinistres et déprimantes à te donner. Nos nombreux amis et connaissances juifs sont emmenés par groupes entiers… Nous supposons que la plupart se font massacrer. La radio anglaise parle d’asphyxie par les gaz ; c’est peut-être la méthode d’élimination la plus rapide. Je suis complètement bouleversée.
D’innombrables amis et relations sont partis pour une terrible destination. Soir après soir, les
voitures vertes ou grises de l’armée passent. Ils sonnent à chaque porte et demandent s’il y a des juifs dans la maison. Si oui, toute la famille doit les suivre immédiatement, si non, ils poursuivent leur chemin. Souvent ils ont des listes… Ils reçoivent souvent des primes par personne capturée, tant par tête. On dirait une chasse aux esclaves, telle qu’elle se pratiquait autrefois… Personne n’est épargné, vieillards, enfants, bébés, femmes enceintes, malades, tout, tout est entrainé dans ce voyage vers la mort. Et tout cela pour la seule raison qu’ils sont Juifs. »
En novembre 1942, un espoir naîtra lorsque nous apprenons que les alliés reprennent le contrôle du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie avec quelques victoires. Et Stalingrad n’est pas encore tombée. Nous obtenons des informations des différents fronts par une station radiophonique privée, reliée directement à Londres, New York, Tel Aviv et de nombreux autres émetteurs.
Ou encore, le 27 février 1943 :
« Chère Kitty,
Pim s’attend au débarquement d’un jour à l’autre. Churchill a eu une pneumonie, il se remet
lentement. Gandhi, l’indépendantiste indien, en est à sa nième grève de la faim. »
Au printemps 1944, j’ai entendu à la Radio de Londres, le ministre de l'Éducation
du gouvernement néerlandais en exil dire, qu'après la guerre, il faudrait rassembler et publier tout ce qui avait trait aux souffrances du peuple néerlandais pendant l'occupation allemande.
Cette idée m’a enchantée et j’ai décidé de publier un livre à partir de mon journal. Son titre : Het Achterhuis (L’Annexe).
Deviendrai-je jamais une journaliste et un écrivain ? Je l’espère tant, car en écrivant je peux tout consigner, mes pensées, mes idéaux et les fruits de mon imagination.
Le 4 août 1944 au matin, l'Annexe est découverte par les services de sécurité de la police
allemande. Le sous-officier SS, Karl Silberbauer, et trois policiers néerlandais sont entrés dans la maison. Ils semblaient savoir précisément où se rendre. Ils se sont dirigés vers la porte-bibliothèque qui cachait l’accès à l'Annexe et l’ont faite ouvrir. Nous étions horrifiés.
Tout le monde
a été arrêté. Je n’ai pas pu emmener mon journal qui sera retrouvé plus tard éparpillé sur le sol.
Nous avons été transportés au quartier général de la Gestapo, dans le sud d'Amsterdam, pour
être détenus et interrogés toute la nuit. Le lendemain, 5 août, nous avons été transférés à
la prison van Bewaring.
Le 8 août, on nous a amené à la gare centrale d'Amsterdam. Curieusement, j’étais heureuse de me retrouver à l’air libre, de respirer, de bouger après notre longue captivité. Il y avait beaucoup de monde à la gare. On nous a poussé dans les wagons, entassés les uns contre les autres. Ils ont verrouillé les portes pour éviter les évasions.
« Nous étions de nouveau réunis, expliquera plus tard Otto, et nous avions reçu quelques vivres pour le voyage. Nous savions où nous allions, c’était un peu comme si on partait de nouveau en voyage, ou comme si on faisait une excursion, et nous étions réellement enjoués. Tout au moins, si l’on compare ce voyage à ce qui allait suivre… Nous avions entendu parler des déportations en Pologne, et nous savions ce qui se passait à Auschwitz, Treblinka et Madjanek, mais l'armée russe n'avait-elle pas progressé en Pologne ? La guerre était tellement avancée que nous pouvions placer quelque espoir dans la chance. Alors que le train roulait, nous espérions que la chance serait avec nous. »
Dans l'après-midi de ce 8 août, le train arriva à Westerbork, un camp de regroupement et de
transit , situé à cent vingt kilomètres au nord d'Amsterdam. Il y avait là plus de 100 000 Juifs.
Le 3 septembre 1944, nous sommes tous partis de Westerbork pour le camp d’extermination
d'Auschwitz en Pologne, où nous sommes arrivés le 6 septembre, après un voyage exténuant de trois jours.
Là, ils ont opéré une première sélection. Nous avons été séparés de papa et Peter. Je suis resté avec Maman et Margot. Les enfants âgés de moins de quinze ans ont été envoyés directement dans les chambres à gaz. Je l’ai échappé belle à trois mois près !
Ensuite, nous avons été obligés de nous déshabiller pour une désinfection. On nous a rasés et tatoués sur le bras. Heureusement, maman, Margot et moi avons pu rester ensemble dans la même baraque. Nous nous soutenons mutuellement dans cet enfer.
Les baraquements sont bondés et les nuits glaciales. J’ai attrapé la gale. Le moral est en berne.
Nous n’avons pas de nouvelles de papa et je pense qu’il a été tué. Un grand coup au moral. Mais nous apprenons que les Russes avancent et nous espérons qu’ils viendront nous libérer.
Le 28 octobre 1944, les SS décident de nous évacuer vers l’Allemagne. Margot et moi devons
aller à Bergen-Belsen. Maman est trop faible pour marcher. Elle est restée seule à Auschwitz où elle mourra d’épuisement quelques semaines plus tard. Elle n’avait que 44 ans.
A Bergen-Belsen, c’est un cran supplémentaire dans l’horreur. Le camp est surpeuplé, les
conditions de vie sont dramatiques. Les tensions entre les voisins, la promiscuité, la faim, le froid, le manque d'hygiène, les maladies. Beaucoup d’entre nous meurent. Combien de temps encore pouvons-nous survivre ? Je ressemble à un cadavre et j’ai perdu tous mes cheveux. Margot ne peut même plus marcher. Nous sommes comme des petits oiseaux frigorifiés.
Les premiers mois de 1945 sont terribles. Il neige souvent et nous souffrons atrocement de froid et de faim. En mars 1945, à cause des conditions d’hygiène dramatiques, nous sommes victimes d’une épidémie de typhus propagée par les poux. De très nombreux morts.
Margot, trop affaiblie, est tombée de sa couchette en voulant se lever, elle en est morte. Elle avait 19 ans. Pauvre Margot et pauvre de moi ! J’étais seule. Je ne sais plus quel jour de mars nous étions. Je vais bientôt partir la rejoindre. Là-bas, nous allons retrouver papa et maman et nous serons de nouveau ensemble. Honnêtement, je ne crois plus trop en dieu et je me fiche qu’il m’envoie en enfer après ce que nous avons vécu sur terre. Priez quand même pour nous.
Le camp sera libéré le 15 avril 1945, environ un mois après la mort d’Anne. Amsterdam sera libéré le 5 mai 1945. Les corps d’Anne et Margot se trouvent dans la fosse commune de Bergen-Belsen.
Une tombe mémorielle leur est installée non loin de là.
Après la guerre, sur les 110 000 Juifs déportés des Pays-Bas pendant l'occupation nazie, 5 000 seulement ont survécu. Otto Frank survit au camp d'Auschwitz. Il est libéré par l'Armée rouge le 27 janvier 1945. Il revient à Amsterdam le 3 juin 1945 et s’installe chez Miep Gies et son mari avec lesquels il vivra plusieurs années.
C'est seulement à ce moment que Miep Gies donne à Otto Frank le journal d'Anne qu'elle avait réussi à sauver. Il lui dit simplement : « Je ne savais pas que ma petite Anne était aussi
profonde. »
Le premier Journal d’Anne Frank paraitra en 1947 puis en 1950 avec une réédition. Il a été traduit dans plus de 70 langues. Plusieurs films, pièces de théâtre et livres s'en sont inspirés.
Une réédition augmentée a vu le jour plus récemment.
William V. Ouaki
Ecrivain, peintre et consultant
Un très beau texte, plein d'émotions... Le nazisme fut une barbarie sans nom. Hélas, l'antisémitisme est toujours présent, il est même en augmentation.