Le 22 avril prochain, Pauline, professeure de musique dans un collège niçois, s’envolera pour la Pologne. Son voyage a pour objectif de visiter les camps de la mort. Un voyage, pèlerinage de la mémoire qu’elle dédie son grand-père, René Nodot, Juste parmi les Nations qui sauva 2700 juifs.
Elle se souvient avec émotion et fierté de ce grand-père qui refusa de sonner l’hallali et le déshonneur. Quatre-vingts ans après l’horreur absolue, la mémoire commence à s’effacer, car les acteurs de cette époque quittent la scène.
René Nodot était de la race de ces héros du quotidien qui apportèrent de l’humanité, là où, par lâcheté, par un vil intérêt, ou indifférence, certains choisirent leur camp.
En juillet 1942 René Nodot fut nommé délégué départemental du Service Social des Etrangers à Bourg (Ain). Le directeur du Service, Gilbert Lesage s’était donné comme objectif d’entraver les mesures anti-juives de Vichy. Il était aidé par certains de ses adjoints dont René Nodot. Ce dernier se chargeait de prévenir les juifs étrangers des rafles en préparation dans le département. Avec l’assistance du père Marius Jolivet, dont le presbytère à Collonges-sous-Salève était contigu à la frontière, faisait passer des juifs en Suisse. Par là, il risquait son poste, la prison, voire la mort.
Uniquement mû par des considérations humanitaires et la défense des droits de l’homme, il ne cherchait aucune contrepartie. En août 1943, les gendarmes français arrêtèrent un réfugié juif allemand du nom d’Alex Rosenzweig et l’internèrent à la prison de Bourg où étaient déjà incarcérés plusieurs autres réfugiés juifs. Alors que les gendarmes établissaient la liste des personnes à déporter, René Nodot intervint. Alex Rosenzweig et plus de cinquante réfugiés juifs ne furent pas inscrits sur la liste. Quelques jours plus tard, René Nodot obtint leur mise en liberté provisoire et trouva des cachettes sûres pour chacun d’entre eux. En août 1942, averti de l’imminence d’une rafle à Vénissieux, il avait réussi à donner l’alerte, sauvant ainsi
2000 personnes.
Juste parmi les Nations
Il y a trente ans, Marek Halter est parti à la recherche de ces femmes et de ces hommes qui refusèrent l’abomination et de devenir les complices d’un génocide. Une recherche qui a donné le film Tzedek par lequel nous l’écrivain nous a fait participer à ses rencontres, partager ses découvertes et ses interrogations. Tzedek montre qu'il n'est pas de situation au monde, si inhumaine soit-elle, qui ne permette à l'homme de préserver sa part d'humanité, comme cela a été écrit par Primo Levi.
Marek Halter est allé à la rencontre de René Nodot : » j’ai interviewé près d’une centaine de personnes, dont René Nodot. J’avais conçu le documentaire comme une chaîne. Je suis parti des personnes qui avaient été sauvées ; puis, je suis remonté aux réseaux et à tous ceux qui les avaient animés ».
Ainsi, il en vint à s’intéresser aux réseaux protestants et parmi eux beaucoup de pasteurs très choqués par les mesures anti-juives du gouvernement de Vichy et travailla dès 1941 avec la Croix-Rouge pour porter assistance et faire évacuer en Suisse des enfants juifs.
En 1994, date de sortie du documentaire, cela faisait déjà vingt ans, que René Nodot s’était vu décerner le titre de Juste parmi les Nations, distinction honorifique délivrée par Yad Vashem et l’État d’Israël, en remerciement de tous ceux qui n’ont pas cédé la peur, y compris celle de déplaire à leurs supérieurs hiérarchiques.
René Nodot qui s’est éteint en 2000 à l’âge de 84 ans « était un homme d’une grande simplicité, comme beaucoup de Justes, un homme intéressant » se souvient Marek Halter dont on retrouve l’entretien qu’il eut avec René Nodot dans son livre « la force du Bien ».
« Beaucoup de ces Justes n’étaient pas des intellectuels, mais des travailleurs parfois politisés, des femmes et des hommes aux convictions religieuses très fortes ». On se souvient de Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire, dont les habitants à majorité protestante ont reçu la médaille des Justes parmi les Nations. C’était une cité refuge au sens biblique du terme, qui avait protégé des familles entières. Un gendarme de Vichy, vint demander à un paysan, s’il y avait des juifs qui s’y cachaient. La réponse de ce dernier, qui aurait mérité d’être gravée dans le marbre, au fronton d’un édifice public, montre le cran de ses habitants : « Des juifs ? Qu’est-ce que c’est des juifs ? Ici, nous ne connaissons que des hommes ».
Lea Della Volta
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