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Les 52 Rugissants - Essai sur les antisémitismes : Chapitre 4 – Partie 2 : Les prémices



Les 52 Rugissants - Essai sur les antisémitismes

L’Alliance Israélite Universelle, une nécessité


En 1860, est fondée l’Alliance Israélite Universelle (AIU), avec son siège installé à Paris et qui aura, au fil des ans, des sites d’implantation dans bien d’autres villes et d’autres pays.


A sa fondation, l’AIU a bien une vocation universelle. Elle lance un appel aux Juifs du

monde entier :


« Israélites !

Si, dispersés sur tous les points de la terre et mêlés aux Nations, vous demeurez

attachés de cœur à l’antique religion de vos pères, quelque faible d’ailleurs que soit le

lien qui vous retienne ;

Si vous ne reniez pas votre foi, si vous ne cachez pas votre culte, si vous ne rougissez

pas d’une qualification qui ne pèse qu’aux âmes faibles (…) ;

Si vous croyez que l’idée sublime et le culte rigoureux d’un D. unique, dont nous

sommes les antiques dépositaires et les obstinés défenseurs, doivent être préservés

plus que jamais des calculs intéressés ou des atteintes du doute et de l’indifférence ;

Si vous croyez que la liberté de conscience, cette vie de l’âme, n’est nulle part mieux

sauvegardée pour tous les hommes que dans les États où les Juifs l’ont tout entière

(...) ;

Si vous croyez toutes ces choses, Israélites du monde entier, venez, écoutez notre

appel, accordez-nous votre adhésion, votre concours ; l’œuvre est grande et bénie

peut-être ;


Nous fondons l’Alliance Israélite Universelle ! »


L’AIU s’est donné pour but de se consacrer à la défense des Juifs et surtout à la

promotion des Droits de l’Homme. Pour cela, elle se propose d’intercéder auprès des

autorités politiques dans le monde au bénéfice des Juifs persécutés. Elle va développer

un réseau scolaire visant à « moderniser » les Juifs d’Orient et permettre leur

émancipation. L’objectif de l’Alliance est de répandre les bienfaits de la civilisation

française dans le monde juif. Elle se pose comme représentante officielle du judaïsme

français, sauf pour ce qui est du culte, domaine réservé au Consistoire. Ses dirigeants

sont républicains et patriotes.


Elle s’orientera ensuite vers une puissante entreprise éducatrice telle qu’on la connaît

de nos jours. La première école de l’Alliance s’ouvre à Tétouan dans le Nord du Maroc,

le 23 décembre 1862. En Tunisie, elle ouvrira sa première école, à Tunis même, en

1878.


L’AIU sera présidée par Adolphe Crémieux à partir de 1863 qui conservera ces

fonctions jusqu’à sa mort en 1880. Plus tard, elle sera présidée à partir de 1943 par le

juriste René Cassin.


La condition critique des Juifs d’Orient au XIXe siècle


Il paraît fondamental de relater également le travail extraordinaire entrepris par l’AIU sur

les terres arabo-musulmanes à partir de sa création en 1860. Les archives de

l’organisation recèlent de très nombreuses informations sur la réalité quotidienne de

ces Juifs d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, réalité qu’il serait temps d’extirper de

l’oubli.


Il n’y a d’ailleurs pas que les envoyés pleins de dévotion de l’AIU au Maroc ou bien au

Yémen qui relatent des faits relativisant une lune de miel, mais aussi de nombreux

autres voyageurs bien avant 1860.

Pour preuve, en 1801, William Lemprière, alors en visite à Marrakech relate dans son

Voyage dans l’empire du Maroc en parlant des Juifs : « Partout ils sont traités comme

des êtres d’une classe inférieure à la nôtre. Dans aucune partie du monde, on ne les

opprime comme en Barbarie. »


L’on note que les plus odieux moyens de maltraitance sont utilisés à leur encontre,

comme les jets de pierre et les crachats par les enfants sans même qu’il soit possible

de protester sous peine de représailles avec sévices corporels. Sans compter les divers

massacres qui ont émaillés la région sous le joug de l’islam (Fez au Maroc en 1820,

Tétouan au Maroc en 1790 puis en 1822, Bagdad en Irak en 1828, Safed en Palestine

en 1834, Meched en Perse en 1839, etc.).

Les conséquences sur le plan humain : une extrême pauvreté devenant un enfer, une

misère noire avec malnutrition et des maladies conséquentes, un avilissement des

caractères, une déchéance morale en passant par l’annihilation de toute volonté, que

ce soit pour des personnes ou de populations entières.


Charles de Foucauld en voyage en 1883 au Maroc écrit : « Le musulman mange son

Juif comme il gaspille son héritage ; il lui demande des sommes excessives, le Juif dit

ne pas les avoir ; le sid (seigneur) prend sa femme en otage, la garde chez lui jusqu’à

ce qu’il ait payé. »

Cette situation a de graves répercussions et conséquences sur la psychologie des Juifs

d’Orient, où qu’ils se trouvent dans ce monde-là.

Les années passant sur ce XIXe siècle, le décalage entre la condition des Juifs en terre

d’islam, d’une part, et le siècle des Lumières avec sa Déclaration des Droits de

l’Homme et du Citoyen, d’autre part, devient criant voire insupportable.

Rappelons qu’avant la colonisation, si le Maroc était bien un Etat, l’Algérie n’existait pas

en tant que telle mais constituait une sous-région sous domination ottomane. Il y avait

là des zones esclavagistes où des Juifs, comme des Européens d’ailleurs, étaient

vendus comme esclaves sur les marchés où l’on achetait également des bestiaux.

Cette situation perdure encore dans les régions colonisées sur la seconde moitié du

XIXe siècle. En 1876, Joseph Halévy, orientaliste, archéologue et géographe français

écrivait : « l’islamisme règne en maître. »


Au fur et à mesure de l’avancée coloniale, les Juifs pris comme boucs émissaires sont

accusés d’être les complices des Européens. Les sévices, bastonnades, violences,

viols, mutilations, assassinats se multiplient d’autant. La vente de femmes, jeunes filles

et enfants comme esclaves se poursuit, ce que dénonce l’Alliance à de nombreuses

reprises sans pouvoir y remédier.

La condition des Juifs d’Orient étant posée, reprenons le cours historique.

L’importance de la guerre hispano-marocaine qui débute en 1860 n’est pas non plus à

négliger avec la défaite humiliante des Marocains qui sont mis en déroute rapidement.

Les Juifs sont alors des victimes expiatoires des musulmans par un nouveau massacre

à Tétouan.


Ce n’est qu’en 1863 seulement que l’esclavage est aboli aux Etats-Unis par le

président Abraham Lincoln qui sera assassiné la même année pour cette action

exemplaire. Entre la Déclaration des Droits de l’Homme en 1791 et le vote du 13e

Amendement de la constitution américaine, il aura fallu attendre plus de 70 ans. Il suffit

de songer que l’esclavage existe encore aujourd’hui dans certaines parties du monde

où les jeunes adolescentes sont vendues pour remplir les plus basses besognes.

En 1869, on inaugure le Canal de Suez, percé entre 1859 et 1869 par le français

Ferdinand de Lesseps. Le rêve de Napoléon 1er s’est enfin concrétisé sous l’égide de

son neveu Napoléon III. La configuration géopolitique internationale est dès lors

bouleversée à jamais. L’Egypte, voisin direct de la Palestine, devient un enjeu

stratégique international. Elle le demeure encore à ce jour.


Le salutaire décret Crémieux


En 1870, le décret Crémieux donne d’office la nationalité française aux Juifs d’Algérie et

cela ne touche pas moins 35.000 personnes.

Isaac Jacob Adolphe Crémieux, est né le 30 avril 1796 à Nîmes et mort le 10 février

1880 à Paris. Ce fut un avocat et un important homme politique français, membre de la

franc-maçonnerie, promoteur de l’Alliance Israélite Universelle et fondateur de l’École

Normale Israélite Orientale, l’ENIO dont le siège se situe toujours à Paris.

Nous reproduisons le texte du décret Crémieux, co-signé par Léon Gambetta :

« Décret du 24 octobre 1870 qui déclare citoyens français les Israélites indigènes de

l’Algérie.

Le Gouvernement de la défense nationale décrète :

Les Israélites indigènes des départements de l’Algérie sont déclarés citoyens français ;

en conséquence, leur statut réel et leur statut personnel seront, à compter de la

promulgation du présent décret, réglés par la loi française, tous droits acquis jusqu’à ce

jour restant inviolables.

Toute disposition législative, tout sénatus-consulte, décret, règlement ou ordonnances

contraires, sont abolis. »

Adolphe Thiers (1797-1877), chef du gouvernement provisoire et farouche antisémite,

dépose un projet d’abrogation du décret Crémieux le 21 juillet 1871 qui est repoussé

avec l’aide du banquier Alphonse de Rothschild.

Dans l’est de la Méditerranée, la ville de Jérusalem devient un moutassarifat en 1872,

c’est-à-dire une province ottomane rattachée à Constantinople. Les Allemands sont

alors les alliés des Turcs et ils étendent leur emprise sur la ville sainte.

En 1876, l’on dénombre 12.000 Juifs sur 25.000 habitants à Jérusalem soit 48% de la

population, à quasi-égalité avec les non-juifs.

Les Juifs continuent à affluer en Palestine après avoir fui les persécutions tsaristes. En

1880, on compte 17.000 Juifs dans la ville sur 30.000 âmes et ils y sont majoritaires

pour la première fois (57%) depuis le massacre abominable et l’expulsion des Juifs de

la Palestine par Hadrien en 135.

Dans ce cadre, en 1882, sous le tsar de Russie Alexandre II, a lieu ce que l’on nomme

la première Aliyah en provenance des pays d’Europe de l’Est essentiellement (40.000).

Ce terme Aliyah désigne le départ des Juifs de leurs pays d’origine pour émigrer vers la

Palestine et plus tard Israël (à partir de 1948). Ils viennent de Russie, mais également

du Yémen, de Roumanie ou de Perse, preuve de l’étendue géographique des

persécutions qu’ils subissent. Devant ce nouvel afflux massif, les Turcs interdisent alors

l’installation des Juifs en Palestine. Que s’est-il passé ?

En 1881, ont lieu les massacres d’Odessa qui déciment un nombre considérable de

Juifs de la ville et provoquent des départs en masse, essentiellement vers les USA et le

futur Israël. Les Bilouim (nom d’un mouvement sioniste du nom du bateau Bilou) venus

de Russie vont organiser à partir de 1882 la colonie agricole de Rishon-lé-Zion qui sera

financée par le baron Edmond de Rothschild (1845-1939).

Le philosophe, journaliste, économiste Karl Marx (1818-1883), d’origine juive

allemande, converti au protestantisme, décède en 1883 en laissant un héritage

politique considérable et une pensée militante dans Le Capital (1867). Décédé à l’âge

de 65 ans, il ne verra pas la façon dont ses écrits seront interprétés par les bolcheviks

puis la dictature stalinienne qui fera 20 millions de morts.

En 1884, en Russie sous Alexandre III, dont le règne s’étend de 1881 à 1894, Léon

Pinsker (1821-1891), médecin juif d’Odessa a vécu les massacres dans sa ville en

1882. Il fonde Les Amants de Sion qui prône déjà le retour en Eretz Israël et l’hébreu

comme langue vivante. Pinsker peut, en cela, être considéré comme un visionnaire et

un précurseur du sionisme avant Theodore Herzl.

Le KKL (Keren Kayemeth Leisraël), ou Fond National Juif, est créé par Herzl au 5e

Congrès juif à Bâle, sous l’impulsion de Herman Zvi Shapira, pour acheter des terres

en Palestine. Entre autres actions, le KKL fera planter par la suite des millions d’arbres

sur la terre d’Israël pour en faire autre chose qu’une région aride.

Eliezer ben Yehouda, considéré comme le père de la renaissance de l’hébreu en tant

que langue vivante, réussit à faire adopter l’hébreu pour tous les colons de Palestine,

en lieu et place du yiddish, du ladino, du russe et du roumain, et toutes les langues en

usage alors. L’Hébreu sera déclarée langue officielle en 1922.

A l’autre bout du monde, les grandes puissances s’industrialisent et créent des valeurs

de progrès. C’est en 1886 que la France offre, en signe d’amitié, la statue de la Liberté

aux Etats-Unis pour la commémoration du centenaire de la Déclaration

d’indépendance. Cette statue représente le passage de l’obscurantisme vers la lumière,

la liberté éclairant le monde. Elle est installée sur Liberty Island et reste un des

symboles les plus importants des Etats-Unis.

Cette statue gigantesque a en fait été conçue par Eugène Viollet-le-Duc et réalisée en

France par le sculpteur Auguste Bartholdi avec la participation de l’ingénieur Gustave

Eiffel pour assurer à l’édifice une structure stable contre les vents forts soufflant dans

l’embouchure de l’Hudson.

De l’autre côté de l’Atlantique, la France est, à cette époque, un fer de lance de

l’antisémitisme. En 1886, le journaliste d’extrême-droite Edouard Drumont (1844-1917)

publie La France Juive qui est saluée presque unanimement par la presse catholique.

L’idée du complot judéo-maçonnique est née à cette période pour expliquer les

malheurs de l’église portés par la politique anticléricale de la IIIe république. Le Juif est

le bouc-émissaire idéal, justifié par le caractère déicide du peuple juif. La prétendue

trahison de Judas, Juif parmi les apôtres juifs, a été reportée sur un seul homme puis

par extension sur tout un peuple pendant des siècles.

Cet antisémitisme, très efficace au demeurant, est bâti sur un schéma de simplification

et de raccourci à l’usage des pauvres d’esprit.

C’est dans cette situation de tensions contre les Juifs d’Europe de l’Est ou de l’Ouest

qu’en 1892 Nathan Birnbaum, penseur et écrivain juif autrichien, utilise pour la première

fois le terme de sionisme pour désigner le mouvement qui conduit les Juifs à

revendiquer la terre qui appartenait à leurs ancêtres et dont ils ont été si longtemps

privés. L’on remarquera au passage que le mot « sionisme » a subi l’outrage du temps,

tant son sens a été dénaturé.

A l’autre bout du monde, en 1894, on assiste à la première guerre entre le Japon et la

Chine des temps modernes. Au départ, il s’agissait pour les Nippons de s’assurer du

contrôle de la Corée voisine. Cette guerre se terminera en 1895 par la reddition de la

Chine et l’annexion de Formose (Taiwan) par l’Empire du Soleil Levant.

La fin de ce siècle va voir également la mise en place des fameuses et flamboyantes

expositions universelles en Europe, épicentre mondial avec la France et la Grande-

Bretagne en figures de proue. Celle de 1889 prit place à Paris sur le thème de la

révolution française dont on fêtait le centenaire. Elle accueillit 32 millions de visiteurs

venus du monde entier et fut une réussite éclatante, preuve de la puissance française.

Sans vouloir être exhaustif sur le sujet, citons également celle de 1897 qui se tint à

Bruxelles cette fois-ci, et qui n’enregistra que 8 millions d’entrées.

L’antisémitisme a cours en France métropolitaine mais également dans les colonies.

Geneviève Dermenjian dans Juifs et Antisémitisme à Oran 1895-1905 montre que la

situation des Juifs algériens n’était pas enviable à cette époque.

L’Algérie ne sera pas épargnée à l’instar de Drumont qui sera élu député à Alger de

1898 à 1902 avec un programme antisémite. Des émeutes antijuives éclatèrent à trois

reprises pendant cette période en Algérie, sous la troisième république, en 1884, 1887

et 1898.


William Ouaki

Les 52 Rugissants - Essai sur les antisémitismes




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