Depuis les attentats du 11 septembre 2001, c’est une petite musique lancinante qui se fait entendre à chaque attentat ou tuerie de masse. Cette litanie qui s’inspire qui prend racine dans l’horreur et qui pointe du doigt constat des défaillances du renseignement et son incapacité à prévoir les événements tragiques. L’information souvent fragmentaire est de ce fait non interprétée. Vingt ans plus tard, la défaillance de la CIA, se répète en Israël et le Mossad qui ne dort jamais s’est laissé endormir par le calme du Hamas qui a précédé la tempête. Retour sur des erreurs.
L’écrivain israélien et ancien membre du renseignement militaire, Raphaël Jerusalmy, l’affirme : « Les indices étaient présents, ils ont été mal interprétés, impossible de ne pas repérer des déplacements de matériel, de rampes de lancement, il faut souligner la mésinterprétation des faits. » Plusieurs observateurs non loin de la bande de Gaza avaient remarqué des mouvements suspects, mais ces signaux faibles ne furent pas traités par les spécialistes du renseignement.
Les semaines qui ont précédé les attentats du 11 septembre 2001, le FBI a été alerté par des instructeurs qui avaient été interpellés par le fait que certains apprentis pilotes, s’obstinaient à ne pas apprendre à atterrir. Cette information, si anodine soit-elle aurait permis après vérification de constater qu’il ne s’agissait pas d’élèves pilotes, mais de futurs kamikazes. L’information n’est remontée jusqu’aux analystes de la CIA qu’après les événements.
Il est évident que l’information n’a pas été relayée ou pire encore, personne n’a été en mesure de l’interpréter, comme le décodage utile de messages capitaux qui disaient « le match commence demain » et qui auraient dû éveiller les soupçons des analystes de la CIA. Là encore, ils ne furent traduits de l’arabe que le 12 septembre 2001![1]
Les « signaux fables ne sont que rarement pris en compte, même si de prime abord leur caractères anodins n’incite pas les services secrets à les prendre en considération.
L’information le sang du renseignement
L’information est le sang de l’entreprise, en devenant un enjeu économique considérable, elle est aussi pour le renseignement. Elle est au centre de trois activités : la veille technologique, le renseignement[2] mais aussi la Criminal Intelligence Analysis[3] .
Et même si, veille technologique, renseignement et Criminal Intelligence Analysis, n’ont pas les mêmes méthodes de traque de l’information, puisque la finalité n’est pas la même, il n’en demeure pas moins vrai que l’information et son analyse restent au cœur de ces trois activités.
Le sociologue Auguste Comte[4] avait résumé par une formule l’importance de l’information « savoir pour prévoir afin d’agir ». Elle est un donc un moyen destiné à acquérir une connaissance dont la finalité est l’aide à la décision.
Pour Jean Louis Ermine, expert en Knowledge Management, la connaissance n’est autre que « de l'information qui prend un certain sens dans un contexte défini »[5] . Ce qui signifie que le contexte revêt une importance capable de transformer une information en connaissance. Cela requiert des analystes férus de culture, des linguistes, ainsi que des personnes formées aux techniques de recherche.
Depuis quelques années, l’internationalisation des échanges a mis en avant l’importance du traitement de l’information. En Intelligence économique tout comme en veille stratégique.
On est passé, d’une démarche réactive à une démarche prévisionnelle. Ce qui n’a cependant pas empêché un certain engourdissement au niveau de la recherche d’informations qui est la conséquence, d’une information formalisée et pléthorique. La diversité des supports de documents entraîne une diversité des approches d’analyse, un mauvais cadrage des objectifs à atteindre, voire la non-détermination de l’information recherchée, qui complique la mise en place d’une stratégie.
En mars 2004, les attentats de Madrid ont amené certains spécialistes à s’interroger sur le rôle de l’information et sur l’incapacité des services de renseignement à utiliser la “bonne information, au bon moment”. Des voix, dont celle du spécialiste catalan de la communication, Roman Gubern, se sont élevées pour critiquer le choix du modèle informationnel fondé non plus, sur la capacité de l’homme à analyser ou à prévoir, mais sur une croyance exagérée en la toute-puissance de la technologie. Que faire lorsque face à soi, l’on a des terroristes qui préfèrent communiquer par le biais de pigeons voyageurs, plutôt que des téléphones portables ?
Roman Gubern avait à l’époque déploré le fait que les « bits » avaient remplacé le pouvoir de la réflexion, évoquant même, dans un article paru dans le journal El País, deux jours après les attentats : « un technocentrisme ingénu. »[6]
Force est de constater que depuis les événements tragiques du 11 septembre 2001, les gouvernements n’ont pas pris l’exacte mesure des problèmes générés par une information conditionnée par la technologie.
Tous ces événements y compris le cauchemar du 7 octobre 2003 en Israël, révèlent la défaillance des systèmes d’information traditionnels exclusivement basés sur la technologie, remettent en cause notre manière de rechercher et de concevoir l’information, ainsi que notre capacité à la transformer en connaissance.
Afin de comprendre “pourquoi” le 11 septembre a pu se produire, nous pouvons nous reporter aux propos de David Kay (2004), expert, chargé par la CIA de trouver les armes de destruction massive en Irak, qui devant le Congrès américain faisait un dénonçait faillite du renseignement américain qui depuis la guerre du Vietnam avait volontairement négligé le renseignement humain.[7]
L’excès de confiance un poison violent
Certes, pour expliquer l’effet de surprise des attaques terroristes, on a évoqué la trop grande confiance dans la toute-puissance américaine et la sanctuarisation historique de son territoire. On peut appliquer ce paradigme pour Israël qui voyait sa technologie comme le meilleur rempart au monde et qui de ce fait s’est installé dans un confort intellectuel, une routine préjudiciable, lorsque l’on sait que le renseignement et la routine sont incompatibles.
Les services secrets américains et israéliens ont commis l’erreur de négliger une source d’information essentielle : L’information de terrain. La toute-puissance de la technologie les a conduits à négliger un autre élément capital : la simplicité.
L’extrême sophistication des moyens les a amené à considérer comme dérisoires les moyens des groupes terroristes. Pourtant passer une frontière avec des parapentes, ou bien encore communiquer à l’aide non pas de portables, mais de pigeons voyageurs qui passent inaperçus et qui évitent toutes les interceptions potentielles, se sont révélés être d’une efficacité redoutable.
La dialectique du maître et de l’esclave qui s’applique dans ce cas, où en devenant trop tributaire de la simplicité (la haute technologie) on finit par ne plus exercer son pouvoir de réflexion.
La technologie représente sans nul doute, à la fois une force et une faiblesse dans le renseignement, puisqu’elle conforte le Renseignement dans l’idée d’une invincibilité.
Américains et Israéliens ont donc trop misé sur la technologie des satellites, drones, système d’écoute ECHELON, pour se dispenser d’aller sur le terrain, infiltrer les groupes hostiles et retourner les agents ennemis, selon les bonnes vieilles recettes de l’espionnage traditionnel.
Les satellites et ordinateurs ne peuvent pas saisir les conciliabules entre terroristes, ni le “ téléphone arabe ”, et encore moins traiter les milliards de mots interceptés quotidiennement par le réseau ECHELON.
Les ordinateurs les plus puissants ne peuvent décrypter le flot de messages codés, certains utilisant des procédés bien plus subtils ou puissants que ce qu’autorise la loi, la manipulation d’images par exemple.
De même le monde du renseignement a délibérément négligé la pratique des langues et dialectes, de sorte que nombre d’analystes sont insuffisamment formés dans les langues de certains pays dits « à risques »:
« On se doutait bien que les services américains ne disposaient pas d’un nombre suffisant de spécialistes entraînés et perspicaces pour couvrir 180 pays ou langues. Il n’y aurait eu, dit-on, pour traiter l’information que deux agents maîtrisant les dialectes utilisés par les terroristes soupçonnés ! Faute de spécialistes, on voit aujourd’hui les agences de sécurité recruter à la hâte des interprètes, ce qui est mieux que rien ». [8]
Peu après les attentats du 11 septembre, on s’est interrogé, sur les causes profondes de la défaillance de l’information et sur l’incapacité du renseignement à anticiper et à produire des informations fiables. L’on semblait s’acheminer vers une remise en cause générale des systèmes d’information utilisés par le monde du renseignement.
Après les attentats du 11 septembre, la CIA avait été incriminée pour son incurie et pour avoir privilégié le renseignement électronique au détriment du renseignement humain, il en va sans doute de même du Mossad qui aux yeux de l’opinion publique sera rendu responsable de ne pas avoir su rechercher l’information, l’analyser de manière juste, et de ne pas avoir été, de ce fait, en mesure de la présenter aux responsables chargés de la lutte anti-terroriste. Il s’agit n’y plus ni moins d’une défaillance de ce que l’on appelle la « chaîne documentaire ».
Un certain nombre de credo relatifs à la toute-puissance de la technologie, semblaient être sur le point d’être remis en cause. Mais plus de vingt après qu’est-il resté de ce coup de semonce que furent les attentats du 11 septembre 2001 ?
Tout semble indiquer que peu de choses ont changé et que les autorités américaines continuent à privilégier la technique au détriment de l’Humint [9] , tout en sachant pertinemment que le renseignement s’effectue, d’abord, sur le terrain. E preuve que rien n’a changé ou si peu, le 21 septembre 2001, les Américains ont procédé au lancement d’une fusée Taurus chargée de mettre sur orbite un satellite d’imagerie. De la haute technologie destinée à localiser les terroristes en Afghanistan.
Le lancement s’est soldé par un échec retentissant. Quelques minutes après le lancement de la fusée, le deuxième étage prit feu en plein vol, les deux satellites OrbView 4 et Quick Toms finirent leur course dans l’Océan Indien[10] .
L’échec de cette mission a mis l’accent sur l’inefficacité de ces méthodes de traque, en apportant la preuve que tout se joue sur une information construite sur le terrain et qui s’analyse par un croisement de données, afin de ne pas se limiter à la simple collecte.
Un autre événement marquant a eu lieu au mois de décembre 2003, le système ECHELON, clé de voûte du renseignement américain, a une fois encore prouvé ses limites : Suite à des informations émanant de ses bases, la CIA a transmis à la DST et à la DGSE, les noms de six personnes identifiées par le système comme de dangereux terroristes, et ce, tout simplement parce que leurs noms ressemblaient fortement à des noms de personnes recherchées.
Comme l’a souligné Robert Baer, ex agent de la CIA, la technologie dans la prise de décision et du renseignement ne peut être la seule source informative, sans capacité à interpréter l’information, celle-ci reste inopérante.
La linguistique a toute sa place dans des systèmes d’information, en veille technologique et bien sûr dans le renseignement et en analyse criminelle, place qui jusqu’à présent lui a été peu ou prou refusée, car, les décideurs ont privilégié la technologie au détriment d’une approche linguistique des problèmes contemporains.
Le système ECHELON, clé de voûte du système de renseignement américain, repose sur l’interception des mots-clés ; or, nous savons que certaines cibles ont appris à se protéger des interceptions et savent contourner le piège que constitue un mot-clé. Les terroristes sont capables de déjouer les pièges de systèmes très sophistiqués, une fois que leur fonctionnement est connu.
La ruse consiste à éviter d’employer des mots dits “sensibles”, puisque les mots-clés qui sont introduits dans le système ECHELON sont liés à une actualité immédiate. L’emploi d’un synonyme permet souvent de faire passer un message important sans éveiller le moindre des soupçons.
De même, des termes empruntés au “quotidien”, peuvent être chargés de significations autres, afin de ne pas éveiller les soupçons des analystes.
Cette traque de l’information requiert, d’une part, des spécialistes des langues, et d’autre part, des spécialistes du traitement de l’information ; or, il est notoire que l’Amérique, a manqué à la fois de linguistes et d’analystes. Comme le souligne David Kaye[11] [12] :
“ Nous avons des problèmes de recrutement parce que nous connaissons mal les cultures et les langues des pays sensibles.”
Israël a fait la même erreur, et n’a pas tiré partie des erreurs du 11 septembre 2001.
Lea Raso Della Volta
[1]In : Attentats US : la faillite d’Echelon ? http://strategique.free.fr/archives/textes/ech/archives_ech_16.htm
Les messages en arabe disaient : “ demain c’est le jour zéro” et “ le match commence demain”
[2]La veille technologique c’est l’art de repérer, collecter, traiter, stocker des informations et des signaux pertinents (faibles, forts) qui vont irriguer l’entreprise à tous les niveaux de rentabilité, permettre d’orienter le futur et également de protéger le présent et l’avenir face aux attaques de la concurrence. La veille se pratique dans la légalité et le respect des règles de déontologie.
Le renseignement a pratiquement la même démarche, à ceci près que la déontologie est parfois contournée. Dans le premier cas, il s’agit d’aller chercher une information qui est à la portée de tout un chacun, dans le second, il s’agit d’aller chercher l’information par des moyens souvent illégaux.
[3]La criminal Intelligence Analysis ou crime analysis est une discipline qui est née au tout début des années 90, l’objectif est de mettre l’information concernant la criminalité, en relief, en croisant les informations sur la criminalité, et ce afin de permettre aux hommes politiques de décider d’une stratégique de lutte contre la criminalité.
[4] Drabik, Y. (1995). De l’espionnage à l’Intelligence économique. DESS Police, Sécurité et Droits Fondamentaux de la personne. UNSA. pp 8
[5]In : interview donnée par Michel Grunstein à la Lettre de la Net-Economie. 21 mars 2000
[8] Bonnaure, P, Les faiblesses du renseignement américain, in : Futuribles, novembre 2001.
[9]Le terme Humint est un condensé de Human intelligence et définit le renseignement humain. Il a été utilisé, notamment par l’historien Alexis Debat, auteur d’un ouvrage sur la CIA.
[10]In : Attentats US : la faillite d’Echelon ?.http:// strategique.free.fr/archives/textes/ech/archives_ech_16.htm
[11] Kaye, D, Speech Police: The Global Struggle to Govern the Internet (English Edition), 2019.
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