Zion Asoulin :
« Et ils Me construiront un sanctuaire,
pour que Je réside au milieu d’eux. »
Chemot(Exode), 25:8, parasha Terouma
Première partie de l'article : ici
Vous avez des mauvais souvenirs des synagogues mais vous avez fini par en construire. Pourquoi ?
Un jour, m’a donné une commande, ça m’est tombé dessus, et je n’ai pas refusé. Il s’agit de la synagogue Zkhout Avot1 à Ramat Hasharet dont la communauté est dirigée par le rav Dayan.
En général, les communautés ont un vaad2 qui votent les projets. Il participe à toutes les réunions mais le rabbin seulement aux plus importantes. Le vaad prend les décisions légales mais les rabbins s’arrangent tout de même pour avoir un droit de regard même si c’est le syndic qui a officiellement le plus de pouvoir. Cela vous surprendra, mais en Israël, les communautés n’ont pas toujours de lieu dédié où prier car elles n’ont pas les fonds nécessaires pour le faire construire, donc elles vont là où on leur fait de la place, dans des écoles ou des abris.
Pour ma toute première synagogue, j’ai tenté de faire des ébauches pendant trois mois, sans la garantie de toucher un salaire. Rien ne sortait, j’étais bloqué, je n’osais même pas tracer une ligne, construire une synagogue, c’est une responsabilité effrayante. Finalement, on m’a dit que si je ne proposais rien dans les trois jours, je ne décrocherai pas le contrat. J’ai décidé de rester assis sur ma chaise et de ne pas me relever tant que je n’aurais pas trouvé le concept. La nuit du dernier jour, avec la fatigue, j’étais dans un état second, entre le sommeil et le rêve. Des images hallucinées sont apparues dans ma tête, avec précision, comme dans une vidéo, avec des zooms, des plans différents, détail par détail, comme si la réponse venait d’elle-même. Un miracle ! J’ai conservé la chaise sur laquelle j’ai conçu cette synagogue.
Comme c’était la première fois qu’on me confiait un tel projet, j’essayais de me rattacher à quelque chose de connu, et je n’ai pas trouvé. Un ami fou de synagogues m’a prêté des livres, il en possédait plusieurs centaines mais je voulais faire quelque chose de personnel, sans me référer à quelque chose de préexistant, d’inspiration chrétienne ou islamique.
Donc, je suis parti des textes et des symboles de la Torah et des fêtes. J’ai pris la grenade comme symbole primaire, la ménorah en secondaire, et pour finir, les arba minim3.
À Paris, après mes études aux Beaux-Arts, j’avais travaillé en tant que scénographe pour Caroline Carlson. Pour elle, je créais des éléments de décors manuellement, j’ai même façonné un arbre d’où un danseur sortait. Je voulais renouer avec ce type d’expérience et j’ai construit le aron hakodesh4 à la main, que j’ai transporté dans mon atelier pièce par pièce.
Bien que le projet ait été rapidement validé après envoi, je me suis heurté à des petites résistances : l’un des membres du syndicat responsable de la communauté m’a demandé si je voulais faire une synagogue ou une discothèque. Selon lui j’avais mis trop de couleurs et de contrastes mais les autres étaient enthousiastes ! La plupart des synagogues sont en bois ou en marbre naturel. On a des difficultés à obtenir des couleurs vives avec ces matériaux, donc, j’ai utilisé du kessakh, un matériau synthétique créé en Israël composé de quartz, d’epoxy et de porcelaine qui est aujourd’hui exporté aussi aux USA. Avec la variété des couleurs apportée par le quartz, on a un plus grand choix de pigments pour obtenir des teintes très contrastées.
Zkhout Avot est une synagogue de rite séfarade qui date de 1998. Dans les années 2000, le ministre de l’Éducation avait décidé d’organiser des visites de synagogues pour les enfants des écoles laïques. C’est une fois par an, avant Chavouot 5. On explique aux enfants de famille non pratiquantes quelques bases des rites, à quoi servent les différents éléments d’une synagogue. En 2004, on a diffusé un reportage à ce sujet où elle était filmée, et il a été primé comme le plus beau de l’année dans la catégorie synagogues.
Comment définissez-vous votre style ?
J’ai en moi beaucoup de morceaux de style : je suis israélien, juif, j’ai étudié à Paris et Jérusalem, j’ai beaucoup voyagé en Europe…Je ne pense pas au style quand je me mets au travail. Je pense à mon client. Une fois je comprends le monde avec ses yeux, je me donne la liberté de trouver le style qui lui convient. J’ai une bibliothèque de styles dans mon esprit. Je pense au challenge qu’on me donne. Après je résous l’espace et la thématique du programme. Je ferme les yeux et je vois les formes, les couleurs, les textures. Coin par coin, mur par mur. J’imagine les détails et à la fin j’essaie de raffiner.
Parfois, plusieurs styles se mélangent et il faut que jetrouve quelque chose de propre et de simple. Il faut éliminer le bruit : alors je jette des choses à la poubelle. Texture, forme, simplicité. Ainsi, j’épure mon travail jusqu’à trouver une harmonie.
Existe-t-il un art juif à vos yeux ?
Les Juifs n’avaient pas de tradition d’arts plastiques dans leur identité car ils cherchaient des
métiers qui leur permettaient de s’enfuir. Et nous avons une tradition de texte. Les Juifs
étaient écrivains : ils commentaient, composaient des poèmes ou faisaient du commerce. Pour les musiciens aussi, il fallait des instruments qu’on pouvait transporter facilement, le violon, la clarinette.
Même les synagogues, ce sont des non-Juifs qui les construisaient. Ce qu’on appelle judaïca,
c’est du folklore, ce n’est pas de l’art. Alors, qu’est-ce que l’art juif ? Les Juifs doivent passer
par le texte et ils sont ensuite passés par l’évolution de l’Europe. Ils voulaient toujours
montrer qu’ils étaient des gens de qualité, par la culture, la conversation, et ils ont pris les
traditions de leur pays d’accueil. Mais ils n’ont pas fait leurs propres recherches pour faire
un art juif. Moi, quand j’ai pris des cours de perspective, ou d’architecture religieuse, c’était
dans les églises à Paris : j’ai dû adapter ce que j’ai appris pour construire une synagogue et m’inspirer du théâtre ! En Israël, on n’a pas ce genre d’enseignement. Mais je me sens tellement juif que ça ne m’a pas dérangé. Je sais que Maïmonide a écrit qu’on ne devait pas entrer dans un lieu considéré idolâtre mais pour moi, prier devant une statue n’a pas de sens.
Les synagogues, ici, sont inspirées d’autres pays : on reprend un style pour se sentir comme à la maison. On chante chaque année « l’an prochain à Jérusalem » quand on est à Varsovie ou au Maroc mais on apporte le style marocain ou polonais en Israël ! On copie ce que font les Chrétiens quand ils construisent des synagogues au Maroc ou en Pologne !
Quand je demande à mes clients : « avez-vous envie de copier les synagogues faites par
les non-Juifs ? » ils ne sont pas au courant de cela et me répondent : « Quoi ? Ça ne me
concerne pas, je veux la synagogue de mon père ». Ils s’en moquent que ce soit une copie
d’église. Ils veulent que je refasse la synagogue où ils allaient avec leur père et leur grand-père et désirent que leurs petits-fils aillent à la même !
À l’époque, quand on prenait un architecte chrétien, par exemple en France, on était sûr que
la mairie ne s’opposerait pas à sa construction. Une synagogue construite par Gustave Eiffel,
on ne dit pas non. La charpente de la synagogue de la rue des Tournelle a été construite avec des restes de la fameuse tour !
Pour revenir à ma méthode, quand je comprends la mathématique de mon programme,
j’essaie d’imaginer le style de la communauté. Le sentiment de la synagogue de Perse, ce
n’est pas celui de la Pologne. J’essaie de me détacher du modèle chrétien et je me documente
pour retrouver le style du pays d’origine du commanditaire. Je prends des symboles juifs avec
la calligraphie et la géométrie de cette communauté. En Perse, c’est un style coloré, une géométrie complexe, des formes qui s’entremêlent. Je pars de textes juifs et je traduis le texte en forme architecturale qui convient aux spécificités de la communauté afin d’éviter au
maximum de copier. J’essaie de restituer l’ambiance de cette communauté et je me détache
du style chrétien en prenant pour modèle le texte juif que je traduis en symboles. Par
exemple, je choisis un psaume : « un homme saint est comme un palmier. »
Je ferme les yeux, je prends cette phrase et j’imagine comment la traduire en formes. Sur les photos que je vous ai fournies, on voit le palmier sur les lampes et sur le sol en mosaïques.
Quel est votre rôle dans l’Alliance entre Dieu et le peuple juif en tant qu’architecte ?
Lorsqu’on est juif, la façon de servir Dieu, c’est d’accomplir les mitsvot6. Ce qui m’importe, c’est de passer le message de l’Alliance entre l’être humain et Dieu.
Quand Dieu demande à Moïse de monter le Temple temporaire, mobile, Dieu lui dit que ce sera l’endroit où Il sera présent pour le rencontrer, le mishkan7. Mon rôle, c’est de construire une maison pour permettre la rencontre entre Dieu et l’être humain. Quand je conçois une synagogue, je suis le réceptacle de l’inspiration de la communauté, j’essaie de ne pas imposer mes idées mais d’accoucher l’image qu’il y a dans l’esprit de mon client. Ça me permet de ne jamais faire le même projet et de toujours me renouveler.
Vous m’avez montré des photos de la synagogue Mishkan Aharon située à Har Nof parmi celles que vous avez conçues. Qu’a-t-elle de particulier pour vous ?
Cette synagogue est une commande du Rav Batsri. Les reliefs du heikhal8 ont été pillés ou
détruits par les nazis, les restes viennent d’Italie. Le rav Batsri tenait à ce qu’ils soient utilisés
et préservés. Le reste de la synagogue est d’inspiration irakienne. Rien que pour reconstruire
le heikhal, il a fallu un an de travail. Comme la synagogue est construite contre des rochers,
j’ai dû créer de fausses fenêtres. Pendant des heures, j’ai étudié d’anciennes photos conservées au musée d’art italien de Jérusalem.
Avez-vous déjà prié dans une synagogue que vous avez construite ? Qu’avez-vous ressenti ?
J'ai grandi dans la synagogue de mon grand-père, simple jusqu'à la pauvreté visuelle et des années plus tard, j'ai conçu la synagogue Ohel Hana. Et c'est là que j'ai élevé mes enfants. J'étais fier qu’ils prient dans une synagogue construite par leur père. Cela constitue une forme de réparation pour moi car j’ai conçu ce à quoi une synagogue, dans mon idéal, doit ressembler.
J'étais curieux d'observer à chaque instant comment les gens se connectent au métaphysique à travers le physique. Les gens sont tournés vers l'Arche et font des requêtes privées, vont vers les rouleaux de la Torah et offrent un baiser au Saint-Béni-Soit-Il. C'est une expérience très forte de faire des ponts entre les gens et Dieu.
En général je ne prie pas aux inaugurations de mes synagogues. Je suis tellement excité de voir le pont spirituel que j'ai fait. Soudain, je vois les gens voler vers Dieu. C'est une sensation trop forte pour que je puisse me concentrer.
Peut-être que dans toutes les prières que j’entends certaines sont aussi les miennes.
C’est comme le rêve de l’échelle de Yaacov avec les anges qui montent et descendent, les gens ont un pied au sol et un autre qui s’élève.9
Hanna Zilbershlag
Zion Asoulin : « Et ils Me construiront un sanctuaire, pour que Je réside au milieu d’eux. » Partie 2
1Zkhout Avot זכות אבות : Mérite des Pères
2Vaad ועד : Équivalent israélien du syndic de copropriété en France.
3Arba minim ארבעה מינים : les quatre espèces sur lesquelles sont récitées des bénédictions durant la fête de Souccot(fête des Cabanes). D’après le midrach, elles symbolisent les différents types de juifs selon leur degré de pratique religieuse :
- L'Étrog אתרוג : le cédrat. Ce fruit possède à la fois goût et odeur. Il représente le Juif qui étudie la Torah et pratique les Mitsvot.
- Le Loulav לולב – la branche de palmier-dattier : la datte ayant du goût mais non une odeur, évoque celui étudie la Torah mais n’observe pas les commandements.
- Les Hadassim הדסים – les branches de myrte – ont un arôme plaisant, mais aucun goût. Ils symbolisent les Juifs qui accomplissent les Mitsvot, mais n'étudient pas la Torah.
- Les Aravot ערבות– les branches de saules – manquant à la fois de goût et de parfum, évoquent ces Juifs qui ne se distinguent ni dans l'étude de la Torah, ni dans la pratique des Mitsvot.
Ces végétaux représentent l’unité du peuple juif quelle que soit l’observance des individus.
4Aron hakodesh ארון הקודש: Arche sainte. Au sein de la synagogue, petite armoire contenant les rouleaux de la Torah que l’on sort à chabat et aux différentes fêtes pour en lire les portions correspondantes.
5Chavouot שבועות(fête des semaines) : célébration du don de la Torah. Elle est appelée ainsi en référence aux sept semaines séparant Pessah פֶּסַח, la pâque juive, remémorant la sortie d’Égypte de ce jour. À partir de la fin de Pessah, le décompte des quarante-neuf jours est fait chaque soir.
6Mitsvot מצוות : Commandements négatifs ou positifs composés de 365 interdictions et 248 prescriptions.
7Mishkan משכן : tabernacle du temple portatif dont on trouve une description détaillée de la construction et des matériaux choisis notamment dans les chapitres 25-26, 35, 38 et 40 de l’Exode.
8Heikhal : armoire contenant les rouleaux de la Torah(voir Aron Hakodesh)
9Échelle de Jacob : Référence au chapitre 28:10-22 du livre Béréchit(la Genèse) : au cours de son voyage vers Aram pour fuir son frère Esaü et trouver une épouse, Jacob se repose et rêve d’anges qui montent et descendent d’une échelle où Dieu apparaît à son sommet. Jacob marque la présence divine à l’endroit où Il lui est apparu avec la pierre sur laquelle il s’était endormi.
J’ai adoré, appris et retenu une émotion qui ne me quittera plus. Merci